La névrose hystérique
Posté le 29/12/2018
Névrose hystérique
« Toutes des hystériques ! » a-t-on déjà entendu dire ça et là. Largement sorti du lexique médical, le terme « hystérie » reste synonyme d’excitation, de tension extrême, voire de folie. Mais c’est avant tout une névrose dont les troubles parfois spectaculaires laissent le corps médical perplexe.
Historique
Connue depuis Hippocrate, l’inventeur du terme, l’hystérie était considérée, dans l’Antiquité, comme une maladie affectant essentiellement les femmes n’ayant pas eu d’enfants ou abusant des plaisirs charnels. Platon imaginait l’utérus, du latin hystericus, comme un organe en errance dans le corps féminin, capable de provoquer des maladies s’il restait trop longtemps stérile. C’est de cette croyance que l’hystérie tire son nom et c’est aussi la raison pour laquelle on l’associe plus facilement à la gent féminine.
A partir du Moyen Age, on voit dans les manifestations hystériques une intervention du diable et la chasse aux sorcières amplifie cette conception démoniaque de l’hystérie. Avec l’évolution de la pensée médicale, puis les travaux de Charcot, dès 1870, l’hystérie est devenue une maladie psychique bien définie.
Par l’hypnose, le maître de la Salpétrière, obtient des résultats à la mesure des symptômes et libère les malades de l’accusation de simulation. Il substitue la définition de l’hystérie à celle plus moderne de névrose et ramène celle-ci à une origine traumatique en lien avec la sexualité. Parmi les cas de grande hystérie, on retiendra le nom de Blanche Wittmann, qui figure sur le tableau de Brouillet, Une leçon clinique à la Salpétrière. On dit la « Prima Donna » autoritaire, capricieuse et exclusive. Guérie de son hystérie, elle travaille comme technicienne au service de radiologie, puis meurt d’un cancer dans des conditions atroces, sans jamais présenter de symptômes hystériques.
Pour le jeune Freud, les travaux de Charcot sont une révélation et ses démonstrations se révèlent décisives dans l’histoire et le fondement de la psychanalyse. Convaincu dans un premier temps par l’hypnose, il l’abandonne et fait ses premiers essais de « cure par la parole » avec Anna O. Cette jeune femme présente des troubles hystériques liés à la maladie de son père. Elle souffre de paralysie, de troubles de la vue, d’anorexie et de sautes d’humeur spectaculaires. Après avoir fait le récit de ses symptômes, elle les fait disparaître et donne elle-même le nom de « talking cure » à sa découverte. Son histoire, devenue légendaire, fonctionne comme l’un des mythes fondateurs de la psychanalyse. Si Freud a découvert l’inconscient, Anna O a inventé la « cure par la parole».
Au fur et à mesure de ses découvertes avec d’autres patientes, Freud abandonne l’idée d’un traumatisme sexuel comme cause de l’hystérie et comprend que cette névrose résulte d’une traversée oedipienne chaotique. C’est-à-dire, d’un refus inconscient de se détacher du père, à l’origine de troubles de l’identité sexuelle et d’une immaturité affective.
Les symptômes
Aujourd’hui, l’hystérie telle que décrite par Charcot n’existe pratiquement plus et les crises convulsives à caractère spectaculaire sont moins fréquentes qu’autrefois.
Alors par quoi s’exprime l’hystérie quotidienne de nos jours ? Si les contorsions et les transes, ont disparu, les somatisations demeurent et le corps souffre, alors qu’il n’existe aucune lésion organique. Ces troubles se traduisent par des aphonies, des céphalées, des conjonctivites ou des spasmes digestifs et respiratoires. La plupart du temps, les organes concernés sont ceux qui assurent un lien avec le monde extérieur, car l’hystérique cherche par tous moyens à toucher l’autre en engageant essentiellement son corps.
Sur le plan psychique, il souffre aussi, mais sans bluffer. Il a de réels troubles de la mémoire, ne fait pas semblant d’être déprimé, a parfois sincèrement envie de mourir, ses troubles alimentaires ne sont pas à prendre à la légère et sa vie sexuelle est compliquée.
D’une manière générale, l’hystérique suscite à la fois agacement et compassion, il nous attire et nous laisse perplexe devant ses simagrées. On a tendance à penser qu’il manque d’authenticité, qu’il falsifie les relations en jouant constamment la comédie. Même le corps médical est dérouté par l’énigme posée par cette pathologie.
La femme hystérique
Comment reconnaître une femme hystérique ? L’histrionisme est le trait central de l’hystérie. Pour plaire, la femme hystérique déploie des trésors de séduction pour capter l’attention de son entourage. Elle éprouve le besoin impérieux d’être le point de mire des regards d’autrui. Et elle y parvient sans mal, parce qu’elle est sensuelle et terriblement attirante.
Dans le livre de Simenon, « Trois chambres à Manhattan », Kay agace Franck, par sa façon de solliciter les convoitises de n’importe quel homme rencontré dans un bar ou dans la rue. Il la soupçonne même de mythomanie pour l’éblouir, lui, l’homme délaissé qui ne demande qu’un peu de compagnie. Il ne la trouve pourtant pas belle cette femme, mais elle l’attire irrésistiblement.
Si la femme hystérique redouble de charme, qu’on ne s’y trompe pas : sa vie sexuelle est troublée, limitée, insatisfaisante et la séduction est une alternative à la dépression. Alors, elle joue, passant aisément du rôle de muse romantique à celui de garce sophistiquée. Mais derrière les masques dont elle s’affuble, elle aspire à l’amour pur.
Si le sexe transpire de partout, cette éruption se traduit par des somatisations diverses, telles que les conjonctivites, les colites et les maladies cutanées. Elle multiplie les maux étranges, brouille les voies de la guérison et demeure une énigme à déchiffrer pour le corps médical.
Insatisfaite et versatile, en proie à de grandes crises existentielles, elle interroge sans cesse le désir de son partenaire : « Qui suis-je pour lui ? », mais aussi sa propre identité sexuelle : « Suis-je homme ou femme ? ». D’où son insaisissable personnalité et ses stratégies amoureuses déconcertantes. Car si l’hystérique s’offre avec autant de facilité, c’est pour mieux se dérober par la suite. Et si son amant se lasse de ses inconstances, elle lui en veut de ne pas déceler la sensibilité derrière les mascarades. D’amant prodigieux, il devient bourreau de son coeur.
Que l’on se souvienne d’Emma Bovary qui se nourrit de romans à l’eau de rose et aspire à la vie de château. Le décalage entre ses rêveries et sa propre existence provoque chez elle une maladie nerveuse. Frustrée par sa vie de femme mariée, elle se jette dans les bras d’amants qui la déçoivent très vite. La désinvolture de Rodolphe et de Léon, d’abord idéalisés puis haïs, la conduit au suicide.
L’homme hystérique
On a longtemps affirmé la rareté d’une hystérie masculine. Et pourtant, elle existe. Pour le psychanalyste Jean-Pierre Winter, l’homme hystérique c’est le Don Juan. Celui qui répond « présent », dès lors qu’une paire de jambes se décroise. Il les séduit toutes, mais n’en poursuit qu’une seule, fut-elle réelle ou imaginaire. « D’où vient-elle et qui suis-je pour elle ? », questionne-t-il sans fin. Partagé entre frivolité latine et profondeur sentimentale, c’est un homme en quête d’amour. Mais contre toute attente, cet infernal séducteur considère les ébats de la chair monotones et rudimentaires. Il leur préfère l’amour chaste et ne rêve que de la femme irréelle. Camille, le personnage du film « L’année Juliette » est presque une figure emblématique de l’homme hystérique. Convoité par des femmes belles et désirables, il n’en désire qu’une : Juliette Graveur, une musicienne, avec laquelle il a incidemment échangé sa valise dans un aéroport. C’est précisément cette femme chimérique qui le fait rêver.
Insatisfait, insaisissable et décevant, le bel inconstant se fait prier pour un rendez-vous. Et le jour où il condescend à une partie sous les draps, le mât se barre avant qu’il ne mette les voiles. Car, chez l’homme hystérique, les troubles de l’éjaculation ne sont pas rares.
Mais s’il affiche une belle indifférence, ce héros de la liberté est capable de révéler votre féminité. À sa façon, cet homme vous marque d’altérité. C’est son truc à lui, qui va faire la différence avec les autres. N’est-ce pas Don Juan qui dénonce l’inconsistance du lien de Zerline à son petit paysan avant de détaler comme un lapin ?
Hystériques, vous érigez votre morosité chronique en mode de vie et vous êtes impossibles à vivre. Votre désir est un désir d’insatisfaction et celui ou celle qui vous comblera vous fera mourir d’ennui.
Mais à votre corps consentant, que la frustration demeure et que les choses continuent de bouger sous votre impulsion à vouloir toujours plus. Car sans vous, l’existence manquerait passablement de relief!