La trahison
Posté le 26/12/2018
Questions sur la trahison
Le terme « trahison » vient du latin trado, tradere qui signifie transmettre, livrer, remettre. Aussi, en quoi est-ce trahir que de donner à quelqu’un ? Dans le geste de transmettre, il transparaît toujours cette notion de prodigalité, de don que nous ferions à nos proches, enfants, parents, mais aussi amis.
A priori, trahir et transmettre ne seraient guère compatibles, car la trahison serait plutôt synonyme d’infidélité, de déloyauté, éventuellement d’adultère et surtout de tromperie.
Est-ce dans la nature humaine de trahir?
La trahison peut s’effectuer de plusieurs manières, de façon délibérée ou inconsciente. La trahison est avant tout un concept théologique qui nous vient de Judas, l’image type du traître, mais on ne peut pas dire qu’elle soit une composante de la nature humaine. Elle ne relève pas de comportements innés, mais plutôt de comportements acquis, liés à des situations propres, dans un contexte particulier, avec des individus différents. Et puis, n’oublions pas que c’est aussi le trahi qui fait le traître, car sans lui, le traître n’en est pas un.
Qu’est-ce qui pousse le traître à trahir?
Les raisons qui poussent une personne à trahir sont diverses et variées. Dans un pays en guerre, une personne peut être amenée à trahir pour sauver sa peau. Pendant la Shoah, des individus ont dénoncé des proches contre leur gré, pour se protéger eux-mêmes ou bien pour épargner leurs enfants, tandis que d’autres, comme les collaborateurs, ont trahi et dénoncé par pur intérêt, en parfaite connaissance de cause. Ces deux exemples, qui pourtant situent les êtres humains dans un même contexte historique, montrent que le motif de la trahison varie en fonction de l’intérêt de chacun et probablement en fonction de sa personnalité.
Y a-t-il des personnes prédisposées à être “un traître”? Ou des caractéristiques personnelles qui facilitent la trahison?
Il faudrait mener une étude épidémiologique pour répondre à cette question ! Si l’on décide de porter un jugement moral sur les personnes qui commettent un acte de trahison, on peut effectivement invoquer la couardise, le mépris, le déni de la réalité de l’autre, la déloyauté. Mais si l’on tente de décrypter les mécanismes de la trahison, et les raisons qui ont incitées un individu à trahir, on se rend compte que la trahison peut être ressentie et interprétée comme telle par celui qui en subit les conséquences, alors que l’agent actif de la trahison n’a pas forcément conscience de commettre un tel acte.
Prenons l’exemple de Don Juan. Si l’on se place du côté de la morale occidentale, ce personnage est un scélérat sans foi ni loi, un traître qui n’hésite pas à changer d’allure, ceci pour abuser et jouir du corps de femmes victimes de ses impostures. Mais si l’on appréhende la personnalité donjuanesque à la lueur de la psychanalyse, son comportement se jauge désormais à l’aune de sa névrose et la perception que l’on en a est totalement différente. Don Juan apparaît davantage comme un hystérique englué dans sa névrose, tiraillé entre une sensualité effrénée et une culpabilité liée à la crainte du châtiment. Peut-on pour autant en déduire que Don Juan est prédisposé à trahir ?
Par quelles phases passe la personne trahie? (ex : colère, vengeance, acceptation,...)
La trahison nous laisse dans un état de sidération parce qu’elle provoque un effet de surprise. Tout au moins les premiers temps, parce qu’elle est suivie d’une palette d’émotions qui vont de la colère à la tristesse, de la jalousie au sentiment d’abandon. Car la trahison n’existe que si les deux partenaires sont unis par un lien amical, amoureux, professionnel ou familial. Or, ce lien repose sur une entente tacite, la confiance que l’on fait à l’autre et l’idée qu’il était solidaire de ce lien privilégié. Aussi, lorsqu’il trahit, le traître rompt-il ce pacte de solidarité, tandis que le trahi se sent spolié, abandonné et surtout démuni parce que privé de cet autre avec lequel il pensait avoir une relation particulière.
Est-ce possible de pardonner une trahison?
L’aptitude au pardon est une variable qui dépend de différents facteurs. A commencer par celui de la nature et de la densité du lien qui unissait les deux partenaires : il est plus facile de pardonner à son enfant qu’à son collègue de bureau. Mais aussi de l’éducation du sujet trahi, de son entourage, de sa capacité d’analyse qui peut l’aider à comprendre ce qui s’est passé. Mais indépendamment de tout cela, il est vrai que pardonner peut aider à se délivrer de sa haine et de sa douleur. Pardonner, c’est d’abord prendre conscience que l’on a souffert et, à ce titre, le pardon est une intention que l’on a d’abord envers soi, pour cesser de se faire du mal. Cependant, pardonner n’est pas oublier, car l’oubli est une stratégie de survie efficace qui permet d’éliminer l’événement douloureux de notre conscience, au risque de le voir réapparaître sous forme de cauchemars et de symptômes somatiques et/ou psychiques.
Peut-on comparer une trahison à un deuil ?
Selon la constitution psychique de l’individu, son histoire personnelle, mais aussi la nature de la trahison et le lien qui s’était établi avec le traître, cet événement peut avoir un impact traumatique. La personne trahie entretenait une relation de confiance avec l’autre. Elle est non seulement stupéfaite, mais éprouve en outre un sentiment de perte d’un lien stable basé sur la confiance. Elle réalise qu’elle s’est illusionnée sur cet autre et il lui faut alors renoncer à tout un système de croyances qui étaient conformes à ses désirs. Par exemple, une femme qui découvre que son mari a une double vie ne le considérera plus de la même manière en apprenant cette nouvelle. Elle devra faire le deuil de l’homme qu’elle a crû connaître et accepter – ou pas – que son mari n’est pas uniquement ce compagnon fidèle et ce bon père qui subvient aux besoins de sa famille. En réalité, il est tel qu’elle l’a perçu, mais il est aussi un autre : un autre père pour d’autres enfants, un autre amant pour une autre femme. Pour apprendre à vivre avec ce changement qui lui fait brutalement perdre tous ses repères, la femme devra renoncer à cette relation exclusive et accepter la mort de ce lien privilégié. En cela, la trahison est un événement qui oblige à faire le deuil de quelque chose qui a existé et qui ne sera jamais plus.
Quelle est la trahison la plus difficile à accepter (professionnelle, amicale, familiale, amoureuse,...)?
Tout dépend de la façon et avec quelle vigueur on a investi l’un ou l’autre de ces domaines. Mais il est vrai que l’on se réalise à travers le travail, la famille, la personne aimée et ses amis. Apprendre que le poste que l’on briguait a été attribué à un collègue ou que le père qui nous éduque n’est pas notre géniteur sont des prises de conscience brutales et douloureuses qui remettent en question tout un système de croyances et de représentations sur lequel nous nous sommes construits et qui nous permettait de nous projeter dans l’avenir. Aussi, devoir renoncer à un plan de carrière ou bien apprendre que notre père biologique n’est pas celui que l’on croyait être sont des atteintes narcissiques qui viennent ébranler des convictions profondes. Telle que celle d’avoir nourri l’illusion que nous avions une relation privilégiée avec notre chef, avec notre père.
Comment guérir d’une trahison?
Guérir d’une trahison, c’est reconnaître que l’on a perdu quelqu’un ou quelque chose et que notre vie a changé. Il y a un « avant » et un « après ». Notre inconscient s’organise autour de deux pôles : l’instinct de conservation et l’instinct de vie. Certaines personnes continueront de s’enliser dans leur statut de victime, tandis que d’autres réussiront à intégrer cet événement traumatique dans leur histoire et trouveront la force de revivre. Pour y parvenir il faut parler, car la parole aide à la guérison. Dans un premier temps pour exprimer sa colère, puis pour essayer de comprendre ce qui a poussé l’autre à trahir. C’est uniquement en acceptant puis en donnant du sens à cet événement, que l’on arrivera à le surmonter et pourquoi pas, à le retourner à son avantage.
Quels conseils donneriez-vous à une personne qui vient de se faire trahir?
Des conseils seraient vains. Mieux vaut prendre le temps d’écouter la personne déverser sa colère ou exprimer son chagrin. Certaines personnes ont besoin de revenir plusieurs fois sur un événement douloureux comme sur les lieux d’un crime, pour le revivre. De cette manière, elles peuvent réévaluer la situation et prendre suffisamment de recul pour se rendre compte qu’elles avaient finalement leur part de responsabilité dans cette affaire. Car, au fond, qu’est-ce qui justifie que l’on fasse aveuglément confiance à une personne sous prétexte que nous lui sommes intimement liés ? Lorsque nous avons été trahis, force est d’admettre que nous étions dans l’erreur. Et c’est peut-être cela le plus difficile à accepter.
Combien de temps cela met-il à la personne pour se reconstruire?
Il existe des indicateurs de guérison, mais il n’y a pas d’échéance à l’issue de laquelle on estime qu’une personne a des chances de guérir ou non d’une trahison. En revanche, il existe un temps psychique dont le sujet a besoin pour penser l’impensable trahison. Ce temps subjectif dépend de paramètres personnels, comme l’histoire de vie, passée et actuelle, du sujet, de ses capacités d’élaboration, mais aussi de l’environnement dans lequel il évolue : est-il bien entouré ? A-t-il des activités qui lui permettent de se ressourcer ? L’événement douloureux est-il unique ou répété ? Quelle était la force du lien qui l’unissait à celui qui l’a trahi ? Tous ces éléments sont à prendre en considération dans le processus de guérison. Il faut donc le temps qu’il faut, celui dont chacun a besoin pour panser ses plaies.
La vengeance est-elle est un moyen de guérir d’une trahison?
Dès l’instant où l’on cherche à se venger, c’est que l’on n’est pas guéri. La vengeance peut soulager momentanément, mais elle ne répare pas en profondeur. Et surtout, elle ne change rien à la situation si ce n’est à donner une bonne leçon au traître. Et encore ! Est-il seulement conscient qu’il a trahi ? Se venger, c’est partir du principe que l’autre est coupable et qu’il doit être puni. Un adulte qui apprend à son insu qu’il est en réalité un enfant adultérin peut avoir le sentiment d’avoir été trahi. Mais ses parents sont-ils pour autant coupables d’avoir gardé le silence ? Bien souvent, les secrets de famille ne sont pas révélés parce que le poids de la honte oblige les personnes qui en sont à l’origine à se taire. Quant au mari ou à la femme adultère on peut aussi considérer qu’ils ont agi sous l’emprise de la passion et se venger n’ôterait rien aux sentiments qu’ils éprouvent pour une autre personne.
Autre chose à ajouter sur le sujet?
La trahison fait écho dans les histoires individuelles ou collectives et emprunte plusieurs visages. Respectivement celui des traîtres de la Seconde guerre mondiale, de la femme ou de l’homme adultère, du parent qui garde un secret de famille, de l’agent secret, etc. Mais si la trahison est aussi mal tolérée par celui qui la subit, c’est aussi parce qu’elle porte en elle les germes de la séparation, car le traître se décharge de toute appartenance. Quitter sa famille, quitter sa patrie, quitter sa femme, quitter son patron, quitter un groupe, quitter un mode de penser, signe un désir d’indépendance, une manière de s’affirmer en dehors de l’autre et sans l’autre. Une manière de lui dire, « je me passe de toi » et « je peux vivre sans toi ». Par sa déloyauté, celui que nous désignons comme traître est là pour nous rappeler qu’il n’existe pas plus d’amour absolu que de vérité absolue.
Emmanuelle Comtesse