Les troubles bipolaires
Posté le 30/12/2018
Les troubles bipolaires ou psychose maniaco-dépressive
On a coutume de désigner comme cyclothymique ou lunatique une personne dont les humeurs sont en dents de scie. Quand elle passe sans raison apparente du rire aux larmes, qu’elle sourit comme un ange avant d’exploser de rage, on se dit qu’elle a une araignée dans le plafond, mais bon, c’est marrant, ça nous change de notre côté encéphalogramme plat et c’est tout.
Il se peut que ces fluctuations de caractère soient le reflet d’une labilité émotionnelle banale sans gravité, ou d’une sensibilité à fleur de peau. Il se peut aussi que cette personne souffre de troubles bipolaires. Inutile d’éclater en sanglot ou bien d’osciller entre haut désarroi et déprime profonde, vos larmes ne changeront rien à la gravité de cette maladie.
Historique
La psychose maniaco-dépressive a d’abord été isolée en tant qu’entité clinique par le psychiatre Kraeplin, en 1899. Puis les travaux de Freud et d’Abraham ont permis une lecture plus élaborée de la maladie qui se caractérise par une organisation dépressive. En 1917, dans son article « Deuil et mélancolie », Freud montre les similitudes entre l’état de deuil et l’état mélancolique, car l’un et l’autre sont déclenchés par une perte. Mais tandis que cette perte est réelle dans le deuil, elle peut être imaginaire dans la mélancolie. C’est à partir des mécanismes du deuil pathologique, que Freud établit ceux de la mélancolie. Cet état se traduit par une incapacité à se détacher du souvenir de l’être aimé. La fixation mélancolique demeure intense et confine parfois au délire. Le mélancolique s’enferme dans un deuil irrésolu cause de l’ambivalence de ses sentiments à l’égard de l’être perdu: il l’adore en même qu’il le hait de l’avoir abandonné. Cette haine se retourne contre sa propre personne et le détruit.
Symptômes
Aujourd’hui, la psychose maniaco-dépressive a été rebaptisée « troubles bipolaires ». Comme son nom l’indique, elle se caractérise par des accès dépressifs qui alternent avec des phases maniaques. Autrement dit, après avoir sombré dans la dépression, on se retrouve propulsé dans un état d’euphorie qui frise l’extase. Cette euphorie est traite parce qu’elle laisse croire qu’on a retrouvé sa forme, alors qu’en réalité, on est toujours malade. D’ailleurs après une simple dépression, on se sent mieux, on se dit que l’on revient de loin. Mais ce plongeon en soi peut être salutaire parce qu’il incite à l’exploration des arcanes de son inconscient.
Quand on souffre de troubles bipolaires, c’est différent. Après l'accablement, on devient volcanique, surexcité, près à abattre des montagnes, avec toujours ce creux en soi qui ne demande qu’à ravaler, puis étouffer cette belle énergie.
Et puis l’on s’effondre, une chape de plomb s’abat sur l’oiseau. On se croit fichu, et le monde avec nous. « L’ombre de l’objet tombe sur le moi » écrit Freud dans son article « Deuil et mélancolie ». Cette phrase énigmatique et terrifiante illustre un sentiment de perte sans appel, un état morbide où la mort se présente comme la seule issue possible pour échapper à la douleur morale.
La phase maniaque
Avant et après sa traversée du désespoir, le mélancolique connaît de grands moments d’extase qui se caractérisent par une surexcitation psychique. C’est la phase maniaque. Il est tout content de son nouvel état. Tellement content qu’il se sent à l’aise partout et avec n’importe qui. Il apparaît parfois en tenue excentrique ou débraillée, s’adresse avec familiarité à des inconnus et les submerge de paroles. Il déborde d’idées, évoque des souvenirs, raconte des histoires qu’il agrémente de jeux de mots et calembours. Et puis, il fabule parce que son imagination est fertile. Il séduit aussi, en raison de ses désirs érotiques exacerbés.
Outre l’excitation intellectuelle, le mélancolique éprouve le besoin impérieux de s’agiter. Il danse et chante, joue la comédie en imitant des personnages. Vous trouvez sa compagnie agréable. Jusqu’au jour où il décide de faire la circulation sur la voie publique. Vous rigolez jaune. Où les voisins portent plainte pour tapage nocturne parce qu’il fait la fête toute la nuit. Vous saturez. Où les flics le ramènent parce qu’ils l’ont trouvé en train de se balader tout nu dans la rue. Vous êtes horrifié. C’est quand même un attentat à la pudeur ! Oui, mais il n’a plus de limite. Et si vous lui en faites le reproche, méfiez-vous de ces colères explosives.
Le film « Ma vie en cinémascope » nous montre une Alys Robi en proie aux affres de la psychose maniaco-dépressive. La chanteuse québécoise, qui nous a fait sautiller avec Tico tico, puis littéralement ensorcelés avec le langoureux Besame Mucho, multipliait les amours tumultueuses qui la laissaient sur le carreau. Ces airs aux accents sud américains, tantôt pétillants de gaieté, tantôt désespérés, collaient à ses états d’âmes. Mais derrière cette nature orageuse et vibrante, se profilait le spectre de la maladie qui lui a coûté cinq années d’internement psychiatrique et une lobotomie. Préludes à la dépression, ses excès déjouaient son vague à l’âme. Car la manie, qui peut durer quelques jours ou quelques semaines, est une protection artificielle contre la dépression, une façon pour le mélancolique de ne pas sombrer systématiquement dans le désespoir.
La phase mélancolique
A cet état de fête quasi orgiaque succède la mélancolie. Le passage de l’un à l’autre montre que manie et mélancolie sont les deux pôles d’une même structure de fond. Entre ces deux accès, le mélancolique connaît une période d’accalmie. Dans ces moments, il est tout à fait adapté et personne ne se doute que ses humeurs sont des montagnes russes.
Jusqu’au jour où vous le découvrez prostré, mutique, incapable de mettre un pied hors du lit.
A ce stade, la fête est bien finie. La douleur morale est si intense et la tristesse si profonde que le mélancolique a des idées noires. Il est préférable de le prendre au sérieux, car les passages à l’acte ne sont pas rares. Et à choisir entre le tube de barbiturique et le saut sur la voie ferrée, il optera pour la seconde solution. Plus efficace.
Et si vous empruntez à votre tour les chemins de la désillusion, appelez un psy. C’est sérieux.
Si ça peut vous consoler, sachez que les troubles mélancoliques donnent naissance aux œuvres littéraires les plus éblouissantes. Baudelaire ne disait-il pas que la poésie est le plus efficace des paradis artificiels ? Le poète maudit qui met son spleen à l’épreuve de la souffrance poétique, oscillait entre ennui et espérance. L’homme qui haïssait la vulgarité et sublimait la sensibilité, aspirait à transformer la douleur en beauté. Dans les « Fleurs du mal », où mélancolie et extase se donnent la réplique, il jette tout son être. Et résume dans « Mon cœur mis à nu » l’insupportable ambivalence qui anime son âme: « Tout enfant, j’ai senti dans mon cœur deux sentiments contradictoires : l’horreur de la vie et l’extase de la vie ».
Bipolaires, vos troubles portent la marque de la confusion entre chute et ascension. « Mélancolie je te hais, manie je t’aime », tel est votre credo.
Sans cesse ballotté entre désespoir, nostalgie d’un amour perdu et plénitude extatique, le spleen baudelairien est votre insigne, le plus qui fait votre label.
Tantôt apathique, tantôt exalté, vous lessivez votre entourage et si vous renoncez au lithium, c’est lui qui va faire naufrage.